Cet article a été publié dans le Global Trade Magazine le 14 décembre 2017
Par Philip Sutter, directeur de l’analyse stratégique au sein de la division de Gestion du commerce mondial de l’entreprise de services commerciaux, la Société internationale Livingston inc.
Dans la foulée des nouvelles négatives prédisant une impasse des négociations sur le Brexit, la Commission européenne a fait une annonce importante la semaine dernière. La Commission avise maintenant le Conseil européen que des « progrès suffisants » ont été réalisés au cours de la première étape des négociations portant sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Finalement, il existe une lueur de certitude laissant croire que les deux parties atteindront un accord global en temps opportun; un accord très important pour intérêts des parties concernées, mais surtout pour les commerçants et les multinationales européens.
La lueur d’espoir a été sans doute bien accueillie par les entreprises américaines qui ont investi considérablement dans le commerce entre les États-Unis et le Royaume-Uni. En effet, selon un récent témoignage de la Chambre de commerce américaine devant le sous-comité du Comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants sur l’Europe, l’Eurasie et les menaces émergentes, le commerce bilatéral entre les États-Unis et le Royaume-Uni s’élève à plus de 235 milliards de dollars et 2,5 millions d’emplois aux États-Unis dépendent des échanges entre ces deux pays. Ce témoignage qualifie l’impasse des négociations sur le Brexit de « désastre pour les entreprises américaines » tout en soulignant qu’elle pourrait avoir des conséquences négatives sur les consommateurs britanniques sur le plan de la de croissance des prix.
En vertu des dispositions de l’article 50 du traité de l’Union européenne, il est recommandé aux parties de réaliser des progrès suffisants avant d’entamer d’autres négociations concernant un accord futur entre l’UE et le R.-U. Le Conseil européen procédera au vote officiel le 15 décembre, mais on s’attend à ce qu’il suive la recommandation de la Commission.
Les négociateurs du Royaume-Uni et de l’Union européenne sur le Brexit ont publié un rapport conjoint. Voici un aperçu de certains points clés du rapport :
- Un accord sur la méthodologie du règlement financier qui entraînerait une facture de l’ordre de 40 à 45 milliards d’euros (sous réserve d’un accord global), y compris toutes les obligations financières précédentes et la contribution du Royaume-Uni au budget européen jusqu’à la fin de 2020.
- Donner à la Cour européenne de justice (CEJ) le pouvoir de temporiser après les huit années qui suivent le jour du Brexit pour permettre d’avoir une certitude concernant les préoccupations des entreprises.
- Donner une protection réciproque aux citoyens de l’Union européenne et du Royaume-Uni pour garantir l’exercice effectif des droits découlant des lois de l’Union, tout en tenant compte des circonstances individuelles.
- Veiller à ce que la frontière avec l’Irlande ne soit pas assujettie à des contrôles frontaliers; permettre le libre accès aux entreprises de l’Irlande du Nord et respecter l’accord du Vendredi saint de 1998.
En ce qui concerne l’accord futur, le Royaume-Uni pourrait opter pour un accord hybride qui est plus solide que l’Accord économique et commercial global (AECG) avec le Canada, mais sans comporter autant de restrictions que celles imposées à la Norvège actuellement dans le cadre de l’Association européenne de libre-échange (AELE). L’objectif consisterait à terminer les négociations avant le quatrième trimestre de 2018 pour laisser le temps au Parlement européen de donner son consentement et au Royaume-Uni d’exprimer son approbation avant le 29 mars 2019.
Il reste encore beaucoup à faire, mais peu de temps avant le Brexit. Cependant, les deux parties espèrent que la déclaration des progrès suffisants réduira le ton souvent acrimonieux et les gesticulations constantes ayant marqué les négociations jusqu’à présent et qu’elles pencheront en faveur d’une prise de décision claire et cohérente. Les commerçants internationaux ont besoin de détails – qui sont actuellement très insuffisants – pour appuyer leurs plans stratégiques sur des sujets comme l’exposition aux droits et à l’impôt, les procédures de courtage et de dédouanement, les mises à jour des systèmes, les changements règlementaires et l’administration de l’accord de libre-échange.
Les deux parties ont intérêt à prendre la bonne décision et à préserver la circulation continue des marchandises entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Elles sont conscientes des risques d’une position « au bord du gouffre ». En outre, la prise d’une décision éclairée revêt une importance au-delà de l’Europe. De nombreuses multinationales, comme celles aux États-Unis, se servent du Royaume-Uni comme point d’entrée ou de sortie pour le commerce européen. Elles craignent l’instauration potentielle de régimes réglementaires disparates entre les deux parties et le risque de changements réglementaires au Royaume-Uni pour des secteurs clés comme l’industrie pharmaceutique et l’aviation.
Il y aura probablement au moins une période de mise en œuvre de deux ans. Celle-ci permettra aux gouvernements et aux entreprises d’avoir plus de temps pour prendre les dispositions requises. Des prolongations supplémentaires peuvent être possibles dans certains secteurs industriels.
À un niveau élevé, un accord futur doit toujours être axé sur les quatre libertés de l’UE : liberté de circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux à travers les frontières. Les deux parties sont probablement en accord sur trois libertés. Or, c’est la circulation des personnes qui constitue le point de friction des négociations suivantes et c’est aussi l’axe essentiel sur lequel s’articule le Brexit depuis le début. La question qui se pose maintenant : dans quelle mesure les deux parties sont-elles disposées à faire des concessions?
Il est fort probable que les relations tournent mal; toutefois, la déclaration des « progrès suffisants » est un atout qu’on ne devrait pas sous-estimer, mais plutôt reconnaître et privilégier. Les négociateurs ont travaillé dur pour atteindre ce résultat; aussi, dans l’intérêt du commerce entre l’Europe et ses partenaires, il est important que ces efforts se poursuivent.
Philip Sutter est le directeur de l’analyse stratégique de la division de gestion du commerce mondial de l’entreprise de services commerciaux, la Société internationale Livingston.