Cet article a été publié initialement dans le magazine Global Trade le 22 octobre 2017.
Par David Rish, président, gestion du commerce international
Comme l’ont récemment rapporté certains médias, les négociateurs des États-Unis ont choisi de présenter une disposition de temporisation de cinq ans reliée à l’ALÉNA dans le cadre de la quatrième ronde de négociations ayant eu lieu dans la capitale américaine la semaine dernière.
L’idée, suggérée à l’origine par le secrétaire au Commerce des États-Unis, Wilbur Ross, et le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, permettrait à l’ALÉNA d’être abrogée au bout d’une période de cinq ans, sauf si les signataires réexaminent l’état de l’accord commercial et se déclarent officiellement d’accord pour son prolongement.
Le secrétaire Ross estime qu’un « réexamen systématique » de l’ALÉNA est nécessaire. Il affirme qu’en 1994, au moment de l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, les prévisions économiques de son incidence sur les États-Unis étaient excessivement optimistes. Ross pense que, même si une telle temporisation (c.-à-d. extinction) ne se produira probablement jamais, cette disposition est nécessaire pour forcer les discussions et éviter la stagnation. Au sein du nouvel ALÉNA, il y aurait un mécanisme continu mis en place pour procéder aux ajustements nécessaires en fonction de la conjoncture présente du marché.
Entre-temps, le Canada et le Mexique ont fortement exprimé leur opposition par rapport à la disposition de temporisation. Ils affirment que le degré d’instabilité qu’elle impose aux décideurs du secteur manufacturier est très dommageable. Il pourrait décourager les investissements à l’extérieur des régions couvertes par l’ALÉNA.
L’ambassadeur du Canada aux États-Unis, David MacNaughton, a publiquement affirmé que la disposition fera probablement face à une forte résistance des acteurs de l’industrie américaine, tandis que l’ambassadeur du Mexique aux États-Unis, Gerónimo Gutiérrez Fernández, a avancé que la proposition « entraînerait des conséquences très défavorables sur les secteurs commerciaux des trois pays signataires. »
Les entreprises ayant misé sur les avantages de l’ALÉNA l’ont fait en réalisant des investissements considérables dans des chaînes d’approvisionnement sophistiquées en Amérique du Nord, qui comprennent le placement stratégique d’usines de fabrication, d’entrepôts, de centres de distribution et d’autres éléments inclus dans la chaîne de production. De telles infrastructures demandent des années de planification et de mise au point et impliquent des investissements individuels et commerciaux pouvant s’élever à des centaines de millions (si ce n’est pas des milliards) de dollars. Par conséquent, tout risque relié au succès d’un investissement au-delà de l’horizon de planification devient naturellement inquiétant.
Selon une étude récente du Center for Automotive Research, en 2015, les investissements directs étrangers (IDE) totaux en provenance des États-Unis dans l’ensemble des industries au Canada s’élevaient à 353 milliards de dollars, tandis qu’au Mexique ils étaient de 93 milliards de dollars. Pendant ce temps, les IDE canadiens aux États-Unis atteignaient un total de 269 milliards de dollars, tandis que les IDE mexicains aux É.-U. s’établissaient à 17 milliards de dollars. Une grande partie des IDE provient de la mise en place des éléments de la chaîne de production susmentionnés; de plus, le rendement sur ces investissements s’étend souvent sur une génération avant d’être entièrement rétabli.
Le secteur de l’automobile, un des principaux points de la renégociation de l’ALÉNA, est un exemple flagrant d’investissements qui seraient en jeu s’il fallait introduire une disposition de temporisation. Dans l’état actuel des choses, les composantes du véhicule moyen fabriqué en Amérique du Nord peuvent traverser jusqu’à sept fois les frontières à l’intérieur du continent avant que le véhicule fini soit produit. Ça se produit parce que les fabricants d’automobiles exploitent au maximum la rentabilité en fabriquant diverses composantes dans différentes régions et en les transportant vers d’autres régions afin qu’elles soient assemblées en partie ou complètement.
Peu de détails reliés à un accord substantiel ont été révélés jusqu’ici dans les renégociations. Étant donné que des élections approchent en 2018 au Mexique et aux États-Unis, un sentiment d’urgence prévaut quant à la conclusion des négociations d’ici la fin de 2017 ou au début 2018, car on veut éviter que la renégociation ne devienne démesurément politisée.
C’est une échéance ambitieuse, étant donné que les négociations de l’ALÉNA d’origine s’étaient déroulées sur cinq ans et avaient nécessité 20 rondes de négociations. L’introduction d’une disposition de temporisation s’ajoutera probablement à la liste de contentieux, qui comprend des exigences de contenu plus rigoureuses, des normes du travail et environnementales plus strictes, et des scénarios de réduction des droits pour les biens non visés par l’ALÉNA, qui n’ont été introduits que lors de la dernière ronde de négociations.
Malgré la disposition de temporisation de cinq ans, la menace immédiate est que la temporisation se produise maintenant. Dans l’éventualité où les négociations échoueraient, les États-Unis pourraient mettre en branle un préavis de six mois pour un retrait complet de l’ALÉNA l’année prochaine. Cette temporisation est bien plus menaçante et imminente que l’autre.