Cet article de Susan Pomerantz, directrice principale, conseil de la Société internationale Livingston, a été publié le 12 décembre 2016 dans le Global Trade Magazine. Lisez l’original ici.
Partie 3 : Le protectionnisme croissant parmi les entreprises oblige à revoir la politique du commerce international
Par Susan Pomerantz
Le 10 novembre, deux jours à peine après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le premier ministre canadien Justin Trudeau a déclaré qu’il était prêt à discuter de modifications à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Les commentaires du dirigeant canadien venaient en réaction aux déclarations régulières du président désigné qui prétendait que l’ALENA était un désastre, un accord commercial défectueux et même catastrophique, qu’il fallait renégocier.
L’ALENA n’est pas le seul accord de libre-échange à faire l’objet de critiques de la part du président désigné. En voie de conclusion par 12 pays, le Partenariat transpacifique (PTP), qui consoliderait les relations économiques de l’Amérique avec les pays d’Asie face à la nouvelle hégémonie de la Chine, est également considéré par Donald Trump comme un mauvais partenariat pour les États-Unis.
De nombreux observateurs considèrent que le sentiment protectionniste qui régnait dans la campagne présidentielle de Donald Trump était un argument politique de convenance. L’avenir nous le dira. Cependant, il est certain que cette politique protectionniste reflète une résistance fondamentale au commerce international et signale une résurgence du mouvement Buy America. Cette résistance croissante a été associée par erreur, et exclusivement, aux travailleurs laissés-pour-compte dans les zones industrielles traditionnelles du pays, dont les emplois manufacturiers, précédemment abondants et lucratifs, ont beaucoup diminué. Ces travailleurs ne sont pas les seuls à résister de plus en plus à la mondialisation.
D’après une étude récente de la Société internationale Livingston, le sentiment protectionniste parmi les entreprises américaines est plus du triple de celui des entreprises canadiennes; en effet, 27,3 pour cent des entreprises américaines non-mondiales déclarent qu’elles préfèrent acheter et vendre localement, contre 8,4 pour cent au Canada.
Encore plus révélateurs sont les sentiments manifestés par les entreprises américaines activement engagées dans le libre-échange : deux tiers d’entre elles déclarent que les accords de libre-échange conclus par les États-Unis n’ont exercé aucun impact notable sur leur efficacité concurrentielle. Ce point de vue est particulièrement répandu parmi les petites entreprises américaines, dont presque la moitié (45,9 pour cent) est d’avis que les accords de libre-échange n’exerceront aucune influence notable sur leur efficacité concurrentielle, contre un tiers des entreprises moyennes et grandes qui sont du même avis.
Il serait irresponsable de considérer ces points de vue comme des aberrations à court terme ou simplement inapplicables. Ils révèlent une tendance mondiale au protectionnisme commercial croissant qui a donné lieu au mécontentement à l’origine de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et qui a presque empêché la signature de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne – après sept années de négociations.
Il serait tout aussi irresponsable de prétendre que tous les accords de libre-échange ne présentent que des avantages. Chaque accord est unique, et certains secteurs en sortent gagnants, d’autres perdants. Les entreprises et les travailleurs déçus par les accords précédents et actuels font maintenant preuve d’une résistance raisonnable à l’impact négatif du commerce international sur leur prospérité.
Soyons réalistes, cependant : on ne peut pas remettre le génie du commerce international dans sa bouteille. Les États-Unis ne représentent que cinq pour cent de la population mondiale – une population et des économies d’envergure mondiale, de plus en plus reliées par des chaînes d’approvisionnement mondiales, des zones commerciales régionales et des marchés financiers. Pour concurrencer efficacement 95 pour cent des habitants du monde, les États-Unis sont obligés de faire du commerce avec les autres pays, souvent par l’intermédiaire d’accords de libre-échange qui réduisent les coûts mais augmentent parfois la complexité de la réglementation.
On peut croire le président désigné quand il affirme que les États-Unis feront campagne, pendant quatre ans, pour rendre les accords de libre-échange actuels plus avantageux pour son pays. S’il existe un moyen de rétablir la dignité des travailleurs laissés-pour-compte, la négociation de meilleures conditions pour les accords de libre-échange actuels pourrait jouer un rôle. Une autre solution – l’abandon total de ces accords – n’est simplement pas viable si les États-Unis désirent continuer à participer au commerce mondial et préserver leur leadership économique. Par contre, le statu quo risquerait de renforcer le sentiment protectionniste et de donner lieu, à son tour, à une tendance isolationniste.
Étant donné la proéminence des questions de commerce international dans la plate-forme électorale du président désigné et son zèle dans la campagne à cet égard, il est raisonnable de croire que d’importants changements affecteront les organisations dont le modèle d’affaires est très axé sur le commerce international. On peut prédire que les entreprises devront continuer à naviguer dans les complexités du commerce mondial, mais dans le cadre d’un nouveau régime commercial. Pour réussir cette adaptation, il sera nécessaire de planifier soigneusement et de s’assurer la collaboration de partenaires dans les services de commerce international, afin de mieux comprendre l’impact que les changements éventuels exerceront sur les circonstances particulières de chaque entreprise.
Les quatre prochaines années seront critiques pour l’évolution de la stratégie américaine en matière de diplomatie et de multilatéralisme. Tous les regards resteront braqués sur Washington pendant que le nouveau gouvernement de la Maison-Blanche détermine ce que de nombreux électeurs attendent depuis longtemps – une stratégie de commerce international à la fois modérée et avantageuse. On peut se demander exactement de quoi il s’agira…
Susan Pomerantz est directrice principale, conseil, pour la Société internationale Livingston, une entreprise de services de commerce international. Elle possède 35 années d’expérience en commerce international et une connaissance approfondie de la réglementation des importations et exportations. Susan a donné des présentations éducatives sur le commerce international dans des universités locales et lors de conférences sur la conformité réglementaire. Elle a siégé au comité de commerce international et d’opérations bancaires de l’État de Floride.