Les avantages pour les entreprises des deux côtés de la frontière vont au-delà des économies de coûts de l’accord commercial
Cet article a été publié initialement dans le Global Trade Magazine le 20 septembre 2018
Par Cora Di Pietro, vice-présidente, conseil en commerce mondial
Considérant les dernières manchettes sur le sort de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), il est compréhensible que certains observateurs s’attendent à ce que le ciel nous tombe sur la tête très prochainement.
Les menaces d’une exclusion du Canada de ce qui était essentiellement un pacte bilatéral conclu en principe entre les États-Unis et le Mexique pourraient en inciter plusieurs à croire que même les chaînes d’approvisionnement nord-américaines durables et rentables sont maintenant à risque de devenir désuètes. Des usines et des centres de distribution fermeront leurs portes et des milliards de dollars d’investissements seront perdus à la suite d’une simple signature.
Ces prédictions se fondent sur le pire des scénarios, celui où les membres du Congrès endossent passivement une entente bilatérale entre les États-Unis et le Mexique sans tenir compte des protestations de la communauté d’affaires, des groupes de travailleurs et de leurs électeurs. Bien que ce scénario ne soit pas impossible, il demeure hautement improbable.
Supposons toutefois qu’il se réalise et que Washington exclut le Canada de sa longue liste de partenaires de libre-échange. Quelles seront les conséquences et qui écopera le plus?
Supposons toutefois qu’il se réalise et que Washington exclut le Canada de sa longue liste de partenaires de libre-échange. Quelles seront les conséquences et qui écopera le plus?
Assurément, l’impact se fera sentir des deux côtés du 49eparallèle. Les entreprises américaines qui avaient autrefois la liberté de transporter des produits de l’autre côté de la frontière canadienne sans payer de tarifs ou de droits seraient alors confrontées à une hausse des frais au débarquement. Dans certains cas, cela pourrait éliminer l’avantage économique d’importer des produits du Canada et/ou de vendre des marchandises sur le marché canadien.
Pour plusieurs entreprises, cependant, la conséquence la plus probable d’une exclusion du Canada de l’accord de libre-échange avec les États-Unis serait minime et les affaires continueraient de rouler comme à l’habitude.
La réalité est que le Canada est le partenaire commercial le plus important des États-Unis et vice versa, donc l’abolition du libre-échange entre les deux pays ne changera rien à cela.
Ce n’est pas seulement une vision optimiste. On n’a qu’à regarder les plus récentes données du commerce entre les deux pays. Malgré les tentatives de Washington de diminuer le déficit commercial entre les États-Unis et le Canada, les exportations de marchandises canadiennes vers les États-Unis ont augmenté de 3,3 % en juillet pour atteindre 38,4 milliards $, ce qui donne le surplus commercial mensuel (5,3 milliards $) le plus élevé en une décennie. Les exportations américaines vers le Canada ont quant à elles baissé d’à peine 0,1 %.
Pendant ce temps, le Canada maintient un déficit commercial avec le reste du monde de 5,5 milliards $, comparativement à 4,8 milliards $ en juin. Ces chiffres sont révélateurs compte tenu du fait que les entreprises canadiennes bénéficient d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne – un marché de 500 millions – depuis maintenant un an et qu’une autre entente de libre-échange est sur le point d’être signée avec 10 pays de la côte du Pacifique. Les options de libre-échange à l’étranger pour les entreprises canadiennes sont nombreuses, mais leur commerce avec les États-Unis continue de croître.
Qu’en est-il des fameux tarifs sur l’acier et l’aluminium? Il semble qu’ils aient l’effet contraire anticipé. L’objectif de Washington en imposant ces tarifs était de réduire la dépendance des compagnies américaines aux métaux étrangers. En fin de compte, les exportations d’acier canadien soumises aux tarifs américains ont augmenté de 16,4 % en juillet, tandis que celles d’aluminium ont diminué de seulement 2 %. À l’inverse, les exportations d’acier américain vers le Canada ont chuté de 40 % et celles de l’aluminium, de 5,2 %.
Dans l’ensemble, ces données laissent croire que le commerce entre les deux pays continuera même s’il devenait coûteux de le faire. C’est parce que les avantages du commerce pour les entreprises des deux côtés de la frontière vont au-delà des économies de coûts associées à l’ALÉNA. Les « autres » avantages en question dépendent d’une grande variété de facteurs, notamment la proximité du marché, les parts de marché, la disponibilité et le coût de la main-d’œuvre, les conditions de taxation, les taux de change et plusieurs autres éléments.
La seule exception à cette règle, s’il y en a une, provient de la possibilité que les États-Unis imposent des tarifs de 25 % sur les importations de voitures canadiennes. Une telle décision aurait un effet dévastateur sur l’industrie automobile canadienne, puisque les constructeurs automobiles américains ont plusieurs usines de production au Canada et viennent aussi y chercher des pièces. Toutefois, pareils tarifs s’avéreraient tout aussi néfastes pour les États-Unis, car la chaîne de production des constructeurs serait perturbée et leurs frais au débarquement augmenteraient, entraînant une baisse de la concurrence et possiblement une perte de ventes.
Même sans ces tarifs, il est juste d’affirmer que l’exclusion du Canada d’un accord de libre-échange avec les États-Unis risque d’avoir un impact négatif à long terme sur le commerce entre les deux pays, particulièrement dans le cas des petites et moyennes entreprises qui sont incapables d’absorber les coûts des tarifs. Mais une chose est sûre : le commerce va continuer entre le Canada et les États-Unis.
Voilà un point crucial dont il faut se rappeler alors que les négociateurs canadiens et américains entrent dans la phase finale des discussions sur l’ALÉNA. Le ciel n’est pas en train de tomber et ne tombera pas sur la tête de ceux qui sont réellement investis dans le commerce nord-américain.
Par contre, comme la plupart des acteurs du commerce le savent très bien, les entreprises à la grandeur du continent nord-américain se doivent d’espérer que la raison l’emportera et que l’ALÉNA demeurera en vigueur pour continuer de leur permettre d’être compétitives à l’échelle internationale, au lieu d’être forcées de procéder à de coûteuses réorganisations de leurs chaînes d’approvisionnement.