Cet article a été publié d’abord dans le Global Trade Magazine le 26 mars 2018
Par Candace Sider, vice-présidente, Affaires gouvernementales et réglementaires, Amérique du Nord, de la société de services commerciaux Livingston International.
Il faut bien avouer qu’il y a eu des soupirs de soulagement provenant d’Ottawa et de Mexico le 8 mars, quand le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé que le Canada et le Mexique seraient exemptés des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, respectivement de 25 pourcent et de 10 pourcent.
Les circonstances autour de cette exemption sont plutôt floues. Selon les articles parus dans les médias, le Premier ministre du Canada, M. Justin Trudeau, a tenu une conversation téléphonique avec le président Trump, pendant laquelle il a insisté auprès du président sur le fait qu’imposer des droits de douane sur les exportations d’acier serait contraire aux intérêts des États-Unis, étant donné la dépendance des Américains, à l’acier du nord. En outre, le Premier ministre a souligné que le Canada était un solide allié des États-Unis, et que Washington ne devait pas s’inquiéter au sujet des implications des exportations de l’acier canadien relatives à la sécurité nationale.
Ce dernier point était une réponse directe à la raison d’être supposée des droits de douane : protéger les États-Unis contre une surdépendance à l’acier étranger, ce qui les laisserait (éventuellement par des adversaires militaires) sans matériel suffisant pour développer des ressources militaires. Bien sûr, l’argument de la sécurité nationale était plutôt une échappatoire pour éviter l’apparence d’une ignorance pure et simple des règles de l’Organisation mondiale du commerce sur les droits de douane.
Mais s’il y avait un soulagement au nord et au sud des frontières des États-Unis à l’annonce de l’exemption des droits de douane, il a probablement été de courte durée. Dès que Washington a lancé une bouée de sauvetage à Ottawa et à Mexico, il semble qu’il l’ait retirée en rendant les exemptions conditionnelles à une conclusion favorable des négociations en cours sur l’ALÉNA.
Le Président Trump a déclaré lors de l’annonce sur les droits de douane : « Si nous ne parvenons pas à un accord sur l’ALÉNA et si nous l’annulons parce nous ne pouvons pas conclure une entente qui soit équitable pour nos travailleurs et nos agriculteurs… ».
Il est très possible que le président n’a pas terminé sa phrase parce que c’est souvent son style de ne pas le faire, mais il est encore plus probable qu’il ait réalisé qu’il était en train de se lancer dans une contradiction inhérente. Après tout, si des droits de douane sont imposés pour assurer la sécurité nationale des États-Unis, et si le Canada et le Mexique sont considérés des alliés dans la protection des frontières des États-Unis, le résultat des négociations sur un accord de libre-échange ne devrait avoir aucun rapport avec les droits de douane.
Les critiques ont rapidement souligné que le président avait simplement utilisé les exemptions de droits de douane comme moyen de pression sur les partenaires de l’Amérique de l’ALÉNA pour leur soutirer des concessions lors de la prochaine ronde des négociations de l’ALÉNA, qui ont été ralenties par diverses impasses sur des sujets majeurs. Autant le président que son tsar du commerce, Robert Lighthizer, préfèreraient que les négociations aboutissent au plus vite. Leur hâte s’explique par la prochaine élection présidentielle en juillet au Mexique, et les élections de mi-mandat en novembre aux États-Unis, car l’une comme l’autre pourrait faire pencher la balance du pouvoir, et rendre l’ALÉNA renégocié plus difficile à ratifier.
Mais la phrase incomplète était effectivement une menace voilée, il est difficile de voir comment Washington pourrait maintenir le cap. Si le Canada et le Mexique ne font pas de concession lors de la prochaine ronde de négociations de l’ALÉNA, et si le président annule les exemptions de droits de douane sur l’acier canadien et mexicain pour cette raison, il deviendra évident pour tout le monde que les droits de douane n’avaient jamais eu de rapport avec l’obligation des autres pays à faire des concessions au commerce américain.
La confirmation de cette situation pourrait devenir une responsabilité politique pour les dirigeants de certains pays qui sont des partenaires commerciaux importants des États-Unis, et qui pourraient alors être forcés de riposter avec leurs propres droits de douane. En outre, cela pourrait ralentir davantage les négociations sur l’ALÉNA, mettant tout le processus en danger, et pourrait raviver la colère de l’Organisation mondiale du commerce avec laquelle les États-Unis commencent seulement maintenant à réduire leurs divergences.
L’explication la plus probable est que le commentaire était simplement le genre de comportement opportuniste auquel le président nous a habitués au sujet des négociations sur l’ALÉNA, et un moyen de repousser une certaine rancune de nombreux pays, dont des alliés importants comme l’Union européenne, qui n’ont pas été exemptés des droits de douane.
Du point de vue de Washington, il y a peu à perdre dans ce jeu. Les négociations sur l’ALÉNA sont déjà au ralenti, et ces commentaires pourraient avoir l’effet d’accélérer leur conclusion. Si ce n’est pas le cas, les États-Unis ne seront pas plus mal.
Bien sûr, seul le temps dira quelle carte Washington a l’intention de jouer. Entre-temps, on peut justement présumer que les négociateurs américains conserveront une attitude de tricheur sur la question, tandis que les négociateurs canadiens et mexicains se demanderont s’ils ne doivent pas forcer le président à mettre cartes sur table.