L’intérêt que le Canada démontre face au Mercosur n’est pas une coïncidence

Cet article a été publié initialement dans le Global Trade Magazine le 28 février 2018

Par Cora Di Pietro, vice-présidente, conseil en commerce mondial, Société internationale Livingston

Lorsque le texte pour le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) a été publié la semaine dernière, les observateurs avisés ont rapidement fait remarquer que l’accord commercial ressuscité était susceptible d’enflammer davantage ce qui devrait être une session de négociations déjà surchauffée au cours de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) cette semaine.

Comme on l’a largement rapporté, une analyse du PTPGP par Affaires mondiales Canada montre que les importations américaines au Canada, et en particulier les pièces automobiles américaines, pourraient diminuer de 3,3 milliards de dollars. La nouvelle ne pouvait pas arriver à un moment plus incertain étant donné que le septième tour des négociations de l’ALÉNA se déroule cette semaine avec une convergence particulière sur les règles d’origine automobile. Étant donné que l’équilibre entre les échanges commerciaux entre les États-Unis et leurs partenaires commerciaux a été l’un des principaux objectifs de Washington, il est probable que cela devienne une nouvelle fâcheuse.

Les responsables canadiens ont maintenu que la signature anticipée du PTPGP en mars de cette année et la ratification d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne l’année dernière témoignent simplement de la convergence du gouvernement actuel vers l’internationalisme et non d’un plan de repli en cas de dissolution de l’ALÉNA.

Mais il y a eu un autre développement au Canada la semaine dernière et il semblerait que le Canada mise sur cela. Peu après la signature du PTPGP, des représentants canadiens se rendront à Buenos Aires pour s’entretenir avec des représentants du Mercosur, le bloc commercial sud-américain composé de quatre marchés clés, dont l’Argentine et le Brésil ainsi que le Paraguay et l’Uruguay.

En 2016, le commerce bilatéral entre le Canada et Mercosur n’a totalisé que 8,1 milliards de dollars, soit une infime partie des échanges bilatéraux de 544 milliards de dollars entre le Canada et les États-Unis pour la même année. Selon cette mesure, un pacte commercial entre le Canada et Mercosur semblerait avoir une portée limitée dans le contexte où le Canada mise sur le retrait des États-Unis de l’ALÉNA. Mais en y regardant d’un peu plus près, l’importance d’un accord Mercosur est beaucoup plus avantageux pour le Canada qu’il n’y paraît à première vue.

Premièrement, étant donné que le Canada aura déjà un libre-échange avec le Chili et le Pérou dans le cadre du PTPGP et des accords commerciaux bilatéraux, un accord de libre-échange avec Mercosur permettrait essentiellement au Canada d’avoir accès à la quasi-totalité de l’Amérique du Sud. Pour les sociétés multinationales ayant des chaînes d’approvisionnement internationales qui comprennent des liens en Amérique du Sud, le Canada deviendra un marché d’investissement beaucoup plus attrayant. Cela est particulièrement vrai pour les organisations qui voudront compléter les économies liées à la production en Amérique du Sud avec le bassin de travailleurs et de techniciens hautement qualifiés du Canada qui soutiennent la recherche et le développement, la conception, la commercialisation et d’autres aspects cruciaux du développement de produits.

Deuxièmement, Mercosur offre aux exportateurs canadiens un marché de 260 millions de personnes. Ajoutez à cela le marché de 500 millions auquel le Canada a garanti l’accès par le biais de l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Europe et les 495 millions dans le PTPGP et, soudain, au cours de l’année, le Canada aura garanti l’accès au libre-échange (en principe) à un marché combiné plus de quatre fois la taille des États-Unis.

Bien sûr, ALÉNA ou non, les États-Unis et le Canada sont probablement toujours les plus grands partenaires commerciaux. La géographie, la culture d’entreprise et les besoins commerciaux mutuellement avantageux ont cimenté cette relation commerciale à perpétuité. Mais sans l’ALÉNA, le commerce devient plus coûteux et moins avantageux dans certains secteurs où les entreprises seront probablement à la recherche de nouveaux marchés pour s’approvisionner en matériaux et vendre leurs marchandises.

Enfin, comme l’a souligné la Société Radio-Canada (SRC), l’accès à Mercosur sera sans doute une évolution bienvenue pour le secteur des pièces automobiles du pays, qui fera face à une concurrence féroce des importations étrangères par le biais du PTPGP, mais pourra faire face à cette concurrence en ciblant le marché Mercosur.

Il est important de noter que les discussions entre le Canada et Mercosur ne déboucheront pas nécessairement sur un accord de libre-échange. Les entités ont déjà fait ce chemin auparavant, mais elles n’avaient pas réussi à conclure un accord pour diverses raisons. Mercosur a été lourd d’instabilité ces dernières années. La suspension indéfinie du Venezuela du bloc commercial en réponse à la répression du gouvernement contre l’opposition politique et les accusations de corruption et de mauvaise gestion économique en Argentine et au Brésil ont effrayé de nombreux investisseurs ces dernières années. De plus, le Canada exigera vraisemblablement qu’un accord de libre-échange avec Mercosur comprenne des dispositions relatives aux politiques progressistes sur le travail, l’environnement, les droits autochtones et l’égalité des sexes, semblables à celles sur lesquelles le Canada a insisté dans le cadre du PTPGP.

Pour ces raisons et d’autres liées à des impasses sur des questions commerciales critiques, l’UE n’a pas été en mesure de conclure un accord commercial avec Mercosur, même après presque deux décennies de négociations. En d’autres termes, même si le Canada poursuit des pourparlers de libre-échange avec Merocsur, il n’y a aucune raison de croire qu’un accord sera vraisemblablement réalisé à court terme.

Mais avec le sort incertain de l’ALÉNA et la participation du Canada au PTPGP bloqué seulement par des formalités à ce stade, il y a peu de raisons pour que le voisin du nord de l’Amérique trouve de nouveaux alliés commerciaux dans l’hémisphère.

Ce qui n’est pas clair, c’est comment ou si la poursuite par le Canada d’un accord avec Mercosur et sa signature dans le PTPGP pourraient affecter ses relations commerciales avec les États-Unis ou sa position de négociation dans le cadre de l’ALÉNA. Mais étant donné la franchise avec laquelle les questions commerciales ont été discutées entre les responsables du 49e parallèle, il est raisonnable de supposer que les décideurs canadiens le sauront bientôt.

Cora Di Pietro est vice-présidente du conseil en commerce mondial pour l’entreprise de services commerciaux Société internationale Livingston. Elle est souvent conférencière et présentatrice lors d’événements industriels et académiques et elle est membre active de nombreux groupes et associations de l’industrie.